Ópera Romeo et Juliette - Cinquième Acte
Charles Gounod
(Le tombeau des Capulets
Une crypte souterraine;
ça et là des tombeaux)
FRÈRE LAURENT
Eh bien! ma lettre à Roméo?
FRÈRE JEAN
Son page, attaqué par les Capulets,
vient d'être ramené blessé
Dans le palais de son maître,
et n'a pu s'acquitter du message.
Voici la lettre.
FRÈRE LAURENT
Ô funeste hasard!
Qu'un autre messager parte cette nuit même!
Venez! Chaque instant de retard
Nous jette en un péril extrême!
(Au bout d'un moment,
on entend le bruit d'un levier ébranlant la porte.
La porte cède avec bruit. Roméo paraît.)
ROMÉO
C'est là!
(avec un sentiment de terreur)
Salut! Tombeau sombre et silencieux!
Un tombeau! non! non! ô demeure plus belle
Que le séjour même des cieux!
Salut! Palais splendide et radieux!
(apercevant Juliette, et s'élançant vers le tombeau)
Ah! la voilà! c'est elle!
Viens, funèbre clarté! viens l'offrir à mes yeux.
(prenant la lampe funéraire)
O ma femme! O ma bien-aimée!
La mort en aspirant ton haleine embaumée
N'a pas altéré ta beauté!
Non! non! cette beauté que j'adore
Sur ton front calme et pur semble régner encore
Et sourire à l'éternité!
(Il repose la lampe sur le tombeau.)
Pourquoi me la rends-tu si belle,
O mort livide?
Est-ce pour me jeter plus vite dans ses bras?
Va! c'est le seul bonheur
Dont mon coeur soit avide!
Et ta proie aujourd'hui ne t'échappera pas.
(regardant autour de lui)
Ah! je te contemple sans crainte,
Tombe où je vais enfin près d'elle reposer!
(se penchant vers Juliette)
O mes bras, donnez-lui votre dernière étreinte!
Mes lèvres, donnez-lui votre dernier baiser!
(Il embrasse Juliette,
puis, tirant de son sein un petit flacon en métal
et se tournant vers Juliette)
A toi, ma Juliette!
(Il vide le flacon d'un trait et le jette.)
JULIETTE
(s'éveillant peu à peu)
Où suis-je?
ROMÉO
(tournant les yeux vers Juliette)
O vertige!
Est-ce un rêve?
Sa bouche a murmuré!
(saisissant la main de Juliette)
Mes doigts en frémissant
Ont senti dans les siens la chaleur de son sang!
(Juliette regarde Roméo d'un air égaré.)
Elle me regarde et se lève!
JULIETTE
(soupirant)
Roméo!
ROMÉO
Seigneur Dieu tout-puissant!
Elle vit! Elle vit! Juliette est vivante!
JULIETTE
(reprenant peu à peu ses sens)
Dieu! Quelle est cette voix,
dont la douceur m'enchante?
ROMÉO
C'est moi! c'est ton époux
Qui tremblant de bonheur embrasse tes genoux!
Qui ramène à ton coeur la lumière enivrante
De l'amour et des cieux!
JULIETTE
(se jetant dans les bras de Roméo)
Ah! c'est toi!
ROMÉO
Viens! viens, fuyons tous deux!
JULIETTE
O bonheur!
LES DEUX
Viens! fuyons au bout du monde!
Viens, soyons heureux,
Fuyons tous deux
Viens!
Dieu de bonté! Dieu de clémence!
Sois béni par deux coeurs heureux!
ROMÉO
(chancelant)
Ah! les parents ont tous des entrailles de pierre!
JULIETTE
Que dis-tu, Roméo?
ROMÉO
Ni larmes, ni prière,
Rien, rien ne peut les attendrir!
À la porte des cieux!
Juliette, à la porte des cieux! et mourir!
JULIETTE
Mourir! Ah! la fièvre t'égare!
De toi quel délire s'empare?
Mon bien-aimé, rappelle ta raison!
ROMÉO
Hélas!
Je te croyais morte et j'ai bu ce poison!
JULIETTE
Ce poison! Juste ciel!
ROMÉO
(serrant Juliette dans ses bras)
Console-toi, pauvre âme,
Le rêve était trop beau!
L'amour, céleste flamme,
Survit même au tombeau!
Il soulève la pierre
Et, des anges béni,
Comme un flot de lumière
Se perd dans l'infini.
JULIETTE
(égarée)
O douleur! ô torture!
ROMÉO
(d'une voix plus faible)
Écoute, ô Juliette!
L'alouette déjà nous annonce le jour!
Non! non, ce n'est pas le jour, ce n'est pas l'alouette!
C'est le doux rossignol, confident de l'amour?
(Il glisse des bras de Juliette et tombe sur
les degrés du tombeau.)
JULIETTE
(ramassant le flacon)
Ah! cruel époux! de ce poison funeste
Tu ne m'as pas laissé ma part.
(Elle rejette le flacon et portant la main à
son coeur, elle y rencontre le poignard qu'elle
avait caché sous ses vêtements, et l'en tire
d'un geste rapide.)
Ah! fortuné poignard,
Ton secours me reste!
(Elle se frappe.)
ROMÉO
(se relevant à demi)
Dieu! qu'as-tu fait?
JULIETTE
(dans les bras de Roméo)
Va! Ce moment est doux!
(Elle laisse tomber sur le poignard.)
O joie infinie et suprême
De mourir avec toi! Viens! un baiser! je t'aime!
LES DEUX
(se relevant tous deux à demi dans un dernier effort)
Seigneur, Seigneur, pardonnez-nous!
(Ils meurent.)